Dans le réchauffement climatique observé au XXe siècle, comment peut-on faire la part du naturel et de l’activité humaine ?

L’évaluation des contributions respectives des facteurs naturels, d’une part, et des activités humaines, d’autre part, pose directement la question de la démonstration et de la quantification d’un lien de cause à effet, l’effet étant ici le réchauffement global en cours.

L’étude du climat, en particulier à l’échelle globale, est, de ce point de vue, tout à fait singulière. Habituellement, en sciences expérimentales, les liens de causalité sont discutés et établis sur la base d’expériences. Par exemple, on démontre l’efficacité d’un médicament en le donnant à un ensemble d’individus atteints de la même pathologie, alors qu’un autre ensemble recevra un placebo. Une telle démarche autorise une mesure directe de l’effet du médicament.

La même démarche, transposée à l’étude du climat, nécessiterait de disposer d’un certain nombre de planètes Terre, d’imposer à une moitié d’entre elles une augmentation graduelle et non naturelle des concentrations de gaz à effet de serre, ainsi que quelques autres perturbations anthropiques, d’imposer à l’autre moitié les variations observées d’activités solaires, ainsi que quelques éruptions volcaniques en temps voulu, et de faire le bilan du réchauffement observé après une centaine d’années. Une telle démarche étant, bien sûr, tout à fait impossible à mettre en œuvre, la climatologie a dû chercher des alternatives à l’approche expérimentale.

La première, et certainement la plus importante de ces alternatives, consiste à effectivement réaliser ce type d’expériences, mais sur une Terre virtuelle, c’est-à-dire via des simulations numériques, plutôt que sur d’improbables planètes jumelles. Cette approche repose sur notre compréhension des différents processus physiques à l’œuvre dans le système climatique, et sur notre confiance dans la capacité des modèles numériques  à restituer fidèlement les grands mécanismes du climat. Par exemple, la compréhension précise du rôle radiatif des gaz à effet de serre peut permettre de quantifier le réchauffement occasionné par l’augmentation observée de leurs concentrations.

À l’occasion du dernier rapport du GIEC (2013), de nombreux centres de modélisation ont réalisé des simulations dédiées à cette question. Les résultats de ces simulations sont illustrés ci-dessous en termes de température moyenne annuelle planétaire. Les simulations illustrées en haut (« Natural forcing »), tout d’abord, sont réalisées en imposant à la « planète virtuelle » uniquement les variations observées des forçages naturels (en particulier, les variations de l’activité solaire et les éruptions volcaniques majeures). Il n’y a pas d’émissions de gaz à effet de serre, ni aucune autre perturbation liée à l’activité humaine. Les simulations illustrées en bas (« Natural and Human forcing ») sont réalisées, quant à elles, en imposant au système climatique l’ensemble des perturbations connues et comprises à ce jour, c’est-à-dire à la fois les perturbations anthropiques et naturelles.

Évolution de la température moyenne globale annuelle

Source : Figure extraite du 5e rapport d’évaluation du GIEC (IPCC, WG1, Chapitre 10, Figure FAQ10.1). 2013.

Gauche : Évolution de l’anomalie de température moyenne globale annuelle observée (noir) et simulée par des modèles de climat prenant en compte les forçages naturels seuls (haut), ou l’ensemble des forçages anthropiques et naturels (bas), pour deux générations successives de modèles de climat (CMIP3 et CMIP5, la dernière étant la plus récente). Les moyennes des deux ensembles de simulations sont représentées en gras, alors que les simulations individuelles sont représentées en traits fins. Les deux figures montrent les anomalies de température par rapport à la période de référence 1880-1919 – Droite : Distribution spatiale de la tendance linéaire de température sur la période 1951-2010, simulée en réponse aux forçages naturels seuls (haut), observée (centre), et simulée en réponse à l’ensemble des forçages (bas).

Cette figure illustre plusieurs résultats. Premièrement, chacune des deux catégories de forçages considérés a joué un rôle dans la variabilité de la température moyenne de la planète au cours du siècle passé (à gauche sur la figure). Les éruptions volcaniques  majeures, par exemple, sont à l’origine d’un refroidissement qui dure quelques années. Deuxièmement, les deux ensembles de simulations se distinguent nettement sur la fin de la période, et, en particulier, le réchauffement moyen observé au cours de la deuxième moitié du xxe siècle n’est pas reproduit en prenant seulement en compte les forçages naturels. Troisièmement, en termes de réchauffement sur l’ensemble du siècle (entre le début et la fin de la période), l’effet des forçages anthropiques (ou des activités humaines) est largement dominant, et la contribution des forçages naturels est faible. On peut noter que les résultats varient, d’une simulation à l’autre et (non explicite sur cette figure) d’un modèle climatique à l’autre. Les trois conclusions citées ci-dessus sont cependant largement robustes à la prise en compte de ces incertitudes. Enfin, au-delà des variations de la température moyenne globale, la distribution spatiale du réchauffement observé (à droite) est également beaucoup plus cohérente avec l’ensemble des forçages plutôt qu’avec les seuls forçages naturels.

Une deuxième alternative possible consiste à utiliser l’histoire climatique de l’unique planète Terre à disposition pour essayer d’évaluer la façon dont chaque forçage externe influence le climat. Les difficultés sont nombreuses dans cette démarche : les observations très anciennes (on parle de paléoclimat) sont moins précises que celles disponibles au xxe siècle, les principaux forçages externes à l’œuvre sur des longues périodes de temps ne sont pas nécessairement les mêmes qu’au cours du xxe siècle et, surtout, on ne dispose pas de précédent historique concernant l’émission dans l’atmosphère de quantités importantes et non naturelles de gaz à effet de serre. Pour ces raisons, il demeure relativement ardu d’établir de façon statistique, uniquement à partir d’observations anciennes, les contributions respectives des forçages naturels et anthropiques au cours du siècle passé. Les informations issues de ce type d’analyse, cependant, sont cohérentes avec les conclusions précédentes.

Une troisième alternative, complémentaire de la première, consiste à utiliser des outils statistiques pour confronter les résultats de simulations climatiques aux observations récentes. Il s’agit alors de discuter la robustesse statistique des résultats, d’évaluer la présence d’éventuelles incohérences entre simulations et observations, mais aussi dans de nombreux cas, de réévaluer à partir des observations les contributions respectives des différents forçages.

Différentes stratégies et différentes techniques statistiques peuvent être envisagées dans une telle démarche. L’une d’entre elles a plus largement été utilisée par la communauté scientifique. Elle consiste à supposer que les modèles climatiques évaluent correctement la distribution spatio-temporelle des changements climatiques, à défaut (potentiellement) d’en reproduire la bonne amplitude. Par exemple, une caractéristique robuste du réchauffement lié aux gaz à effet de serre est d’être plus marqué sur les continents que sur les océans, et plus fort en fin plutôt qu’en début de xxe siècle, en lien avec des concentrations atmosphériques plus élevées. A l’opposé, l’amplitude du réchauffement correspondant n’est pas supposée connue et est évaluée statistiquement, uniquement à partir des observations.

Les principaux résultats obtenus avec ce type de méthode et décrits dans le dernier rapport du GIEC (2013), sont illustrés sur la figure ci-dessous qui montre les contributions estimées des principaux forçages au réchauffement global au cours de la période 1951-2010. On constate tout d’abord que les contributions des forçages naturels et de la variabilité interne au réchauffement observé (environ 0.65°C sur la période) sont faibles. L’essentiel de ce réchauffement est donc imputable aux forçages anthropiques (0,6 à 0,8°C). En revanche, le réchauffement induit par les gaz à effet de serre (0,5 à 1,3°C) a été en partie masqué par l’effet des autres perturbations anthropiques (au premier rang desquelles se trouvent les émissions d’aérosols ; -0,6 à +0,1°C) dans des proportions encore relativement incertaines. Cette incertitude explique la largeur des intervalles de confiance GHG et OA, alors que la somme de ces deux termes (ANT) est relativement bien contrainte.

Contributions estimées des différents forçages aux changements observés de la température moyenne sur la période 1951-2010

Sources : Figure extraite du 5e rapport d’évaluation du GIEC (IPCC, WG1, Chapitre 10, Figure 10.5)

Contributions probables estimées des gaz à effet de serre anthropiques (GHG, vert), des autres forçages anthropiques (OA, jaune), de l’ensemble des forçages anthropiques (ANT, orange), des forçages naturels (NAT, bleu), et de la variabilité interne (Internal Variability) aux changements observés de la température de surface moyenne globale. Les observations (HadCRUT4) sont indiquées en noir, avec un intervalle de valeurs décrivant l’incertitude des mesures.