Quels sont les liens entre le CO2 et la température ?
Une question revient fréquemment à propos des changements climatiques : « Le climat change mais est-ce la faute du dioxyde de carbone (CO2) ? » Il s’y ajoute souvent une seconde interrogation : « Les climats du passé ne montrent-ils pas que c’est plutôt la température qui agit sur le CO2 ? » Pour répondre à ces questions, il faut d’abord expliquer comment la science a su comprendre puis mettre en équation les processus physiques complexes qui établissent le lien entre rayonnement et gaz à effet de serre.
Le mécanisme de l’effet de serre et les modèles climatiques
L’effet de serre est un processus naturel qui modifie de manière importante la température de surface de notre planète. La figure ci-dessous propose une description simplifiée de ce mécanisme.
La Terre reçoit du Soleil de l’énergie sous forme d’un rayonnement électromagnétique qui va du domaine des ultraviolets à celui des infrarouges (tous deux invisibles à l’œil humain), en passant par la lumière visible. Une grande partie de ces rayonnements traverse sans obstacle l’atmosphère terrestre et vient chauffer les surfaces continentales ou océaniques.
La Terre émet, elle aussi, de l’énergie sous forme d’un rayonnement électromagnétique. Cette énergie est d’autant plus importante que la température de la Terre est grande. Comme la Terre est plus froide que le Soleil, son rayonnement se fait principalement dans l’infrarouge, à des longueurs d’onde plus grandes que celles du rayonnement solaire. Or l’atmosphère terrestre constitue un milieu opaque pour une grande partie de ces longueurs d’ondes à cause de certains gaz, appelés gaz à effet de serre, comme le CO2, la vapeur d’eau, le méthane, le protoxyde d’azote, l’ozone ou les fréons (mais pas l’azote ou l’oxygène). La température de la Terre est donc le fruit de l’équilibre entre l’énergie reçue du Soleil et l’énergie émise par la Terre et en partie captée par les gaz à effet de serre.
L’atmosphère agit comme un isolant dissymétrique en laissant passer la chaleur du Soleil mais en conservant la chaleur de la Terre. Par conséquent, plus la concentration en gaz à effet de serre, et notamment celle en CO2, est importante, plus la température de surface de la Terre s’élève.
L’effet de serre a été mis en évidence, dès le XIXe siècle, par d’éminents scientifiques comme Joseph Fourier ou Svante August Arrhenius. Depuis cette époque, ce mécanisme a fait l’objet d’une multitude de travaux qui ont montré la complexité réelle d’un processus apparemment simple. Par exemple, la distribution verticale des gaz joue un rôle capital dans l’effet de serre.
Les modèles climatiques permettent de simuler le climat de la Terre, de rendre compte du présent et du passé comme d’anticiper le futur. Ils sont basés sur les équations d’évolution du climat qui peuvent être résolues par des ordinateurs. Au premier rang des processus importants, les rayonnements reçus et émis par la Terre, et la façon dont ils sont captés par l’atmosphère, sont pris en compte par les modèles.
Bien entendu, les modèles incluent d’autres mécanismes qui ont une influence sur le climat, soit de manière globale, soit à travers sa répartition géographique :
- la température, le contenu en vapeur d’eau et en nuages et le mouvement des masses d’air dans l’atmosphère ;
- la température, la salinité et le mouvement des masses d’eau dans l’océan ;
- les précipitations neigeuses au-dessus des calottes polaires et des glaciers, et l’écoulement de ces glaces ;
- la façon dont le CO2 est échangé entre l’atmosphère, les océans ou la végétation terrestre ou aquatique (la biosphère), etc.
Les différents modèles élaborés par plusieurs équipes au niveau mondial montrent tous une corrélation entre concentration en CO2 et température terrestre et ils prédisent tous un réchauffement de la Terre à cause des émissions humaines de CO2. Il y a encore un débat sur l’ampleur de ce réchauffement mais son principe ne fait aucun doute et c’est bien le travail de mise en équation de l’effet de serre qui apporte une possibilité de quantifier le réchauffement futur.
Les archives paléoclimatiques
Dans les sédiments océaniques ou la glace des calottes polaires, la Terre a conservé des archives naturelles des variations passées du climat telles que les variations de température et les variations des concentrations en gaz à effet de serre de l’atmosphère. De fait, la neige qui tombe en Antarctique et au Groenland enferme, lorsqu’elle se transforme en glace, des petites bulles qui sont d’authentiques échantillons des atmosphères passées.
Reconstructions de la température annuelle en Antarctique et de la concentration en CO2.
Ces reconstructions ont été réalisées à partir de la carotte de glace forée à EPICA Dome C. La corrélation entre CO2 (en parties par million en volume) et température (en degrés Celsius) est flagrante sur cette figure.
Il est donc tentant d’utiliser les données des archives paléoclimatiques pour tester le lien entre variations des températures et variations du CO2 sur des exemples réels. Dès les années 1980, les carottes prélevées dans les glaces de l’Antarctique ont permis de mettre en évidence la corrélation très étroite, qui a prévalu par le passé, entre la concentration en CO2 et la température en Antarctique. Cette observation semble ainsi confirmer la théorie de l’effet de serre.
Cependant il faut rester prudent et précis : cette corrélation entre CO2 et température ne signifie pas que le CO2 est la cause des variations de température. On sait qu’une part majeure de ces fluctuations est liée à des processus astronomiques. Et la température peut également être la cause des variations de CO2 via les échanges de CO2 entre l’atmosphère, l’océan et la végétation. Dans ces conditions, il n’est pas anormal que les changements de température aient pu précéder ceux du CO2, à certains moments dans le passé, et ce n’est en aucun cas un argument à l’encontre du rôle de l’augmentation du CO2 dans le réchauffement actuel de la planète.
Un indice intéressant à étudier est donc ce décalage temporel entre variation de CO2 et variation de température. Sur le plan des techniques de mesure, ce problème est plus compliqué qu’il n’y paraît. Alors que les variations de température sont enregistrées en surface des calottes polaires, les bulles de gaz sont piégées à une centaine de mètres de profondeur. Il existe donc un décalage en profondeur entre l’enregistrement de température et l’enregistrement de CO2 pour un âge donné.
La dernière déglaciation est survenue il y a entre 20 000 et 10 000 ans dans le passé. Les études les plus récentes
- Voir Parrenin, F., et al., 2013 : « Synchronous change of atmospheric CO2 and Antarctic temperature during the Last Deglacial Warming ». Science, 339 (6123), 1060-1063.
à son sujet contredisent les premières études – qui montraient un retard du CO2 – et elles suggèrent que le CO2 et la température en Antarctique ont commencé à augmenter en même temps. Le CO2 apparaît donc comme une cause potentielle des déglaciations passées.
Reconstructions de la concentration en CO2 et de la température en Antarctique lors de la dernière déglaciation.
Reconstructions réalisées en 2001 (à gauche) et en 2013 (à droite) après des progrès réalisés sur les reconstructions d’âge et de température. Alors que le CO2 apparaissait en retard par rapport à la température dans l’étude de 2001, celle de 2013 les trouve quasi synchrones.
Les modèles climatiques comme les données paléoclimatiques révèlent un lien étroit entre les concentrations en CO2 dans l’atmosphère et la température à la surface de la Terre, ainsi que l’avait prédit les scientifiques au XIXe siècle.
Les calculs physiques et les modèles constituent le seul outil capable d’effectuer des prédictions de l’évolution future du climat. Appliqués au passé, ils permettent aussi de reconstruire le climat de manière plus complète et moins parcellaire que les données paléoclimatiques. Les données paléoclimatiques restent cruciales car elles permettent de tester les modèles dans des conditions différentes de celles d’aujourd’hui et elles fournissent une sorte de garde-fou pour éviter l’usage des modèles dans des conditions où ces derniers fonctionnent moins bien. À titre d’exemple, des variations abruptes du climat lors de la dernière période glaciaire
Les variations abruptes du climat lors de la dernière période glaciaire ont été mises en évidence dans les années 1990, grâce à des carottes de glace prélevées au Groenland.
ne sont toujours pas bien simulées par les modèles.Les données du passé ne remettent pas en cause le fait que la Terre se réchauffe actuellement à cause des émissions anthropiques de CO2. Mais elles devraient permettre de mieux anticiper l’ampleur du réchauffement futur et sa répartition spatiale qui feront encore l’objet de nombreuses recherches dans les années à venir.