Quels sont les liens entre le cycle du carbone et le climat ?
Autres réponse de : Philippe Ciais ou Philippe Bousquet
Jusqu’à présent la biosphère terrestre et les océans ont absorbé environ la moitié de nos émissions de CO2 limitant ainsi leurs effets sur le climat. Cependant le réchauffement global pourrait réduire l’efficacité de ces puits de carbone amplifiant de fait l’effet de la perturbation anthropique.
La concentration atmosphérique du dioxyde de carbone (CO2) a crû de 40 % au cours de la période industrielle, passant de 278 ppm (soit 0.278 % du volume de l’atmosphère) en 1750 à 395 ppm en 2013. Cette augmentation est liée à l’activité humaine, en particulier à l’utilisation de combustibles fossiles (pétrole, charbon et gaz). Mais seule la moitié de ces émissions de carbone s’accumule dans l’atmosphère, l’autre moitié étant absorbée par les puits naturels de l’océan et de la biosphère terrestre. L’océan absorbe du carbone à cause du déséquilibre entre les pressions partielles de CO2 de part et d’autre de l’interface air-mer. Pour la biosphère terrestre, les processus en jeu sont débattus, mais la fertilisation des plantes par l’augmentation du CO2 pourrait jouer un rôle clé.
Ces puits de carbone, qui aujourd’hui limitent l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère et donc le réchauffement climatique, sont fragiles. Dans des conditions défavorables (sécheresse intense, canicule…), la croissance des plantes est ralentie et l’absorption de carbone diminue. Ces conditions seront beaucoup plus probables dans le futur. De plus, la respiration des plantes et la décomposition du carbone du sol ont tendance à augmenter avec la température. Lors des deux sécheresses intenses de 2005 et 2010, l’Amazonie qui est un puits de carbone important, a vu son absorption nette de carbone diminuer fortement. Pour l’océan, plusieurs processus pourraient limiter l’absorption de carbone anthropique : l’augmentation des températures diminue la solubilité du CO2 et l’augmentation de la stratification verticale liée au réchauffement des eaux de surface limite la pénétration du carbone dans l’océan profond.
Les premières simulations représentant le cycle du carbone dans l’océan, l’atmosphère et les surfaces terrestres au sein même des modèles climatiques datent du début des années 2000. Elles mettent en évidence la rétroaction positive entre climat et cycle du carbone décrite ci-dessus. En effet, la perte d’efficacité des puits due au réchauffement augmente la concentration du CO2 atmosphérique et donc le réchauffement induit, ce qui diminue plus encore l’action des puits de carbone. Une incertitude subsiste cependant sur l’amplitude même de la rétroaction. Les études récentes suggèrent que la quantité de CO2 atmosphérique additionnelle résultant de cette rétroaction pourrait atteindre jusqu’à plusieurs dizaines de ppm à la fin du siècle en fonction du modèle utilisé. Cette rétroaction pourrait conduire à un réchauffement additionnel de 0,5°C en 2100.
Il faut rappeler toutefois que la génération actuelle de modèles de climat ne prend pas ou très mal en compte certains processus qui pourraient modifier fortement l’estimation de ce couplage climat-carbone. Aux hautes latitudes par exemple, d’importantes quantités de carbone se sont accumulées au cours de l’histoire de la Terre dans le sol aujourd’hui gelé en permanence (CO2 ou du méthane (CH4), un gaz à effet de serre beaucoup plus puissant que le CO2 mais à durée de résidence dans l’atmosphère plus courte.