Le Gulf Stream va-t-il s’arrêter et refroidir l’Europe ?
Le Gulf Stream a acquis une réputation médiatique depuis que l’officier de marine américain Matthew Fontaine Maury l’a comparé, au XIXe siècle, à un « chauffage central » qui bénéficierait aux côtes d’Europe de l’Ouest. La Bretagne, en particulier, serait dotée d’un climat idyllique par rapport à celui de Terre-Neuve, pourtant située à la même latitude. Une question se pose donc de manière récurrente : que se passerait-il si le Gulf Stream s’arrêtait ?
Dans la configuration actuelle de la planète Terre, le Gulf Stream ne pourra pas s’arrêter. Il suffit d’examiner la cause de ce phénomène pour le comprendre.
A l’origine du Gulf Stream
La cause du Gulf Stream se trouve dans le vent, lui-même généré par l’énergie reçue du Soleil. Maximum sous les tropiques et très faible en région polaire, le rayonnement solaire traverse l’atmosphère de la Terre avant d’être absorbé par les océans (pour l’essentiel) et par les continents tropicaux qui en restituent une partie à l’atmosphère. Ainsi chauffée à sa base, l’atmosphère et l’océan, qu’elle entraîne, transfèrent la chaleur de la source chaude équatoriale vers les régions polaires froides.
En raison de la rotation de la Terre, ce transport de chaleur s’effectue par le canal de structures atmosphériques tourbillonnaires dont la première étape est constituée de grandes circulations anticycloniques subtropicales. Cette grande circulation atmosphérique entraîne l’océan, en miroir, dans une grande « noria » anticyclonique qui inclut, à l’ouest, le Gulf Stream. Ce courant a ses équivalents dans les autres océans : le courant du Brésil dans l’Atlantique sud, le Kuroshio dans le Pacifique nord et le courant des Aiguilles dans l’océan.
Pour que le Gulf Stream s’arrête, il faudrait que l’anticyclone des Açores, lui-même, s’évanouisse, et donc que la source chaude équatoriale ne soit plus là où elle se trouve, ou que la Terre elle-même cesse de tourner. Hypothèses très hautement improbables !
Le « tapis roulant » océanique peut-il s’arrêter ?
La « meridional overturning circulation » (MOC), que l’on appelle de manière imagée « conveyor belt » en anglais ou « tapis roulant » en français, est un élément de la circulation thermohaline qui est induite non par le vent mais par les variations de densité de l’eau de mer. Dans l’océan, les eaux denses (froides et/ou salées) plongent sous les eaux plus légères (plus chaudes et/ou moins salées).
Au nord de l’anticyclone des Açores, se situe la dépression d’Islande autour duquel le vent tourne dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. A ce système dépressionnaire correspond une circulation océanique cyclonique, constituée de la dérive nord-atlantique, du courant de Norvège, sur le bord est, et du courant du Groenland vers le sud, prolongé par le courant du Labrador à l’ouest. Il n’y a pas de discontinuité de flux entre le Gulf Stream, dont le moteur est l’anticyclone des Açores, et le courant de Norvège dont le moteur est la dépression d’Islande. Tout se passe comme si, dans un train, les wagons changeaient de locomotive.
Le Gulf Stream, la dérive nord-atlantique et le courant de Norvège transportent vers l’Arctique les eaux chaudes d’origine tropicale. La situation est analogue dans le Pacifique avec le Kuroshio. Dans les deux cas, les vents dominants d’ouest s’alimentent, aux latitudes tempérées, à la source de chaleur océanique et assurent ainsi aux côtes est des deux océans un climat tempéré.
En hiver, au nord de l’Atlantique, les eaux se refroidissent et voient leur salinité augmenter du fait de la formation de la banquise. Devenant plus denses que les eaux sous-jacentes, les eaux de surface plongent en mer de Norvège et du Groenland jusque vers 3 500 mètres de profondeur. Elles se répandent dans tout l’océan avant de remonter progressivement vers la surface et de revenir à leur point de départ, comme un « tapis roulant ». Cette sorte de pompe aspirante accroît le flux du Gulf Stream et des courants qui le prolongent, et donc le transport océanique de chaleur vers le nord.
Ce phénomène de plongée d’eaux profondes (le « tapis roulant ») pourrait décroître voire s’interrompre dans le cadre du changement climatique. En effet, tout concourt à un réchauffement des eaux et à une baisse de leur salinité. Du fait de la réduction de la banquise, l’océan va absorber plus de chaleur
Ce phénomène est lié à l’albédo ou proportion du rayonnement solaire réfléchi par un objet. L’albédo de la glace est de 60 % (ou 0,6) alors que celui de la surface marine est de 20 % ± 10 % (soit 0,2 ± 0,1 entre 40° N et 40° S).
. Par ailleurs, la fonte des glaciers du Groenland amènera de l’eau douce, donc légère, en surface. L’augmentation des précipitations et du débit des fleuves qui se jettent dans l’Arctique aura le même effet. Tous ces phénomènes vont dans le sens d’une diminution de la salinité et de la densité des eaux de surface, donc de la « pompe à chaleur » et du transport océanique de chaleur vers le nord.Le changement climatique en cours n’interrompra pas le Gulf Stream mais il risque d’en diminuer l’intensité. Cette situation s’est déjà produite dans les périodes glaciaires mais pas dans une période interglaciaire comme celle que nous vivons actuellement, et elle aura certainement des conséquences climatiques en raison de la diminution du transport océanique de chaleur vers le nord dans l’Atlantique.
L’Europe va-t-elle se refroidir ?
En dépit de la similitude des circulations océaniques dans le Pacifique et dans l’Atlantique, il n’y a pas de plongées d’eaux froides dans le Pacifique nord. En effet, la fermeture de cet océan par le détroit de Béring limite la progression des courants vers l’Arctique et les zones de formation de la banquise. De plus, les eaux du Pacifique sont beaucoup moins salées, donc plus légères, que celles de l’Atlantique : elles ne plongent pas.
Le flux de chaleur océanique vers le nord-est, de ce fait, plus élevé dans l’Atlantique que dans le Pacifique et le climat y est plus clément à l’ouest comme à l’est. Aux mêmes latitudes, les climats sont plus doux à Brest qu’à Vancouver et sur les côtes de Norvège qu’en Alaska, surtout en hiver.
Si le « tapis roulant » s’arrêtait soudainement on peut penser que le climat de Brest deviendrait voisin de celui de Vancouver. Toutefois, nous nous trouvons dans une période de réchauffement climatique et c’est dans l’Arctique que l’on attend les plus hautes élévations de température. Dans ces conditions, l’Europe ne se refroidirait pas mais connaîtrait, sans doute, un moindre réchauffement.