Comment le méthane influence-t-il le système climatique ?
La carte d’identité du méthane
Le méthane, de formule chimique CH4, est un gaz à effet de serre de l’atmosphère terrestre probablement déjà présent dans l’atmosphère primitive il y a plus de 4.5 milliards d’années. L’abondance du méthane a été multiplié par 2.6 depuis 1850 et atteint aujourd’hui 1.8 parties par million (ppm). Sa capacité à absorber le rayonnement infra-rouge est plus importante que celle du gaz carbonique (CO2), de l’ordre de 30 fois pour un horizon de 100 ans. Cela explique qu’avec une abondance atmosphérique 20 fois plus faible que celle du CO2, le méthane contribue malgré tout, de façon significative, à l’effet de serre additionnel dû aux activités humaines. Ainsi, le forçage radiatif du méthane est environ 1/3 de celui du CO2, et plus encore si l’on considère que le méthane additionnel participe à la chimie de la basse atmosphère et contribue à former plus d’ozone, un autre gaz à effet de serre.
Actuellement, le méthane est émis par une variété de sources que l’on peut classer en trois catégories :
- les sources biogéniques dues à la décomposition anaérobie (sans oxygène) de la matière organique : zones inondées naturelles (marais, mangroves, tourbières,…), rizières, systèmes digestifs des bovins, décharges et déchets animaux, termites, eaux usées,… ;
- les sources thermogéniques liées à la formation lente des combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel) dans le sous-sol de la Terre : extraction, transport et utilisation des énergies fossiles ;
- les sources pyrogéniques dues à la combustion de la biomasse et à l’utilisation de biofuels domestiques.
La composante anthropogénique de ces émissions représente environ 2/3 des émissions totales qui sont estimées entre 500 et 600 TgCH4/an (1 Tg = 1012g = 1 Gigatonne ou 1 million de tonnes). La principale source de méthane est l’émission par les zones inondées naturelles. Ces émissions peuvent varier fortement d’une année sur l’autre, en fonction des précipitations, de la température, et du contenu en eau des sols.
Le méthane est principalement détruit via l’oxydation par le radical hydroxyle OH dans l’atmosphère (OH est la molécule oxydante principale de la basse atmosphère) et dans les sols quand leur taux d’humidité est faible. On parle de puits de méthane. Dans l’atmosphère, il est aussi détruit par des réactions avec l’oxygène atomique et le chlore. Le contenu en vapeur d’eau et le rayonnement ultraviolet jouent aussi un rôle sur la production de radicaux OH et donc sur la quantité de méthane qui sera oxydée dans l’atmosphère. Enfin, des modifications dans les émissions des autres espèces carbonées réagissant aussi avec le radical OH peuvent modifier la concentration de méthane dans l’atmosphère à la hausse ou à la baisse et ainsi impacter l’effet de serre et l’évolution du climat.
La quantité de méthane actuellement contenue dans l’atmosphère (B~ 4500 Tg) et la somme des puits (L~500 Tg) implique que le temps de résidence du méthane dans l’atmosphère est d’environ 10 ans.
Le méthane peut influencer le système climatique via deux de ses propriétés : c’est un gaz chimiquement actif et c’est un gaz à effet de serre.
Méthane et qualité de l’air
Le méthane est un gaz qui contribue à la capacité oxydante de l’atmosphère, c’est à dire au pouvoir oxydant des radicaux, espèces chimiques très réactives à durée de vie très courte, qui agissent comme des nettoyeurs en détruisant différents polluants présents dans l’air. En réagissant avec le radical hydroxyle (OH), principal radical des basses couches de l’atmosphère, le méthane est le premier élément d’une chaîne de réactions photochimiques produisant du monoxyde de carbone puis du gaz carbonique, et de l’ozone. L’ozone est un gaz à effet de serre et un polluant des basses couches de l’atmosphère qui a un impact sur les écosystèmes et la santé. Une augmentation du méthane dans la basse atmosphère peut entraîner un accroissement de l’effet de serre, une réduction de la capacité oxydante de l’atmosphère, une plus grande production d’ozone dans les basses couches, et donc agir sur l’évolution de la qualité de l’air de surface.
Méthane et Climat
On peut illustrer le lien méthane-climat en remontant le temps. Aux premiers âges de la Terre, il y a environ 4.5 milliards d’années, le scénario le plus probable de l’histoire de l’atmosphère nous indique que l’atmosphère primitive ne contenait ni oxygène ni ozone, mais du gaz carbonique (CO2), du di-azote (N2), de l’eau, et des traces d’ammoniac (NH3) et de méthane. Les océans et l’air étaient des milieux réducteurs, et l’atmosphère, sans sa couche d’ozone filtrant les rayonnements ultraviolets, ne permettait pas à la vie telle qu’on la connaît de se développer en surface. Il est aujourd’hui admis que la vie, sous la forme de micro-organismes, est apparue dans les eaux de surface des océans, milieu filtrant les ultraviolets et où la lumière visible et la chaleur étaient présents en surface. Car c’est bien là un mystère de ces premières centaines de millions d’années : les premiers âges de la Terre étaient, semble-t-il, chauds, alors que les reconstructions des concentrations de CO2 indiquent que ce gaz ne pouvait pas, à lui seul, expliquer une température de surface élevée pour notre planète. En effet, on n’a pas retrouvé de roches spécifiques des atmosphères riches en CO2 (Sidérite) datant de cette époque lointaine. C’est donc dans un océan réducteur que des bactéries méthanogènes ont pu proliférer et produire de grandes quantités de méthane qui se sont répandues dans l’atmosphère. En l’absence d’oxygène et d’ozone, le temps de résidence du méthane dans l’atmosphère était beaucoup plus long qu’aujourd’hui et des concentrations de méthane élevées ont pu être atteintes fournissant ainsi un complément d’effet de serre à celui du CO2. Le couple gaz carbonique + méthane fournit ainsi une théorie compatible avec une période chaude pendant les 2 premiers milliards d’années de l’histoire de la Terre.
La prolifération de bactéries méthanogènes s’est arrêtée quand les bactéries photosynthétiques ont pris le dessus, il y a environ 2.5 milliards d’années, et ont commencé à produire massivement de l’oxygène. Cela a constitué une « double peine » pour le méthane :
- l’oxygène étant un poison pour les bactéries méthanogènes, leur territoire a fortement régressé et entraîné une forte réduction des émissions de méthane ;
- après avoir oxydé les composés océaniques, l’oxygène produit a fini par envahir l’atmosphère, à produire de l’ozone et des radicaux hydroxyles qui ont détruit le méthane et qui ont également réduit fortement son temps de résidence dans l’atmosphère (seulement 10 ans aujourd’hui).
Une chute brutale (à l’échelle climatique) des concentrations de méthane a eu lieu à ce moment-là et a probablement entraîné la première glaciation majeure de la Terre, il y a environ 2.3 milliard d’années.
Aujourd’hui, le méthane explique 20% de l’effet de serre additionnel dû aux activités humaines et contribue donc à piéger plus d’énergie qu’auparavant dans les basses couches de l’atmosphère et à réchauffer le climat. Cet effet est amplifié par le fait que le méthane contribue à la production d’ozone (dans les basses couches) et de vapeur d’eau (dans la basse stratosphère), deux autres gaz à effet de serre. En retour, le climat influence aussi le cycle du méthane, notamment via les surfaces de zones inondées et les processus d’émissions biogéniques, qui dépendent fortement des conditions climatiques.
Pour les prochains siècles, les projections climatiques indiquent que c’est dans la région arctique que la température augmentera le plus. Un risque d’émissions massives de méthane pourrait alors apparaître, comme cela a pu se passer dans l’histoire ancienne de la Terre. Une éventuelle bouffée de méthane pourrait être due :
- au dégel de pergélisol continentaux (ou océaniques) riches en matières organiques pouvant conduire à une production et à une émission de méthane par le développement d’une activité bactérienne produisant du méthane si le milieu contient pas ou peu d’oxygène.
- à la déstabilisation des hydrates de méthane, ces cages d’eau gelée piégeant du méthane en quantité importante dans les marges continentales océaniques et sous les pergélisols continentaux.
Ce risque de bouffée de méthane n’est probablement pas immédiat mais il impose de mieux comprendre et quantifier certains mécanismes mis en jeu dans le cycle du méthane. Il impose aussi une surveillance sur le long terme du méthane atmosphérique, notamment à cause de la sensibilité climatique de la région arctique.