Qu’est-ce-que la variabilité interne du climat ?
Les experts du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) s’accordent sur la réalité d’un réchauffement global causé par les émissions anthropiques de gaz à effet de serre. Cependant, il est encore bien souvent délicat de faire la part, à l’échelle régionale, entre le changement climatique en cours et la variabilité interne du climat. Lorsque se produisent des événements extrêmes (canicules, sécheresses ou fortes pluies, tempêtes ou cyclones), il est ainsi coutumier d’entendre qu’il est abusif et/ou prématuré de les imputer au changement climatique. Ce texte se propose d’appréhender la variabilité interne du climat à différentes échelles spatio-temporelles. L’analyse portera d’abord sur la température moyenne du globe dont les variations récentes seront brièvement décrites. Ensuite, quelques modes de variabilité, identifiés à l’échelle régionale, seront présentés pour illustrer la variabilité interne et son évolution possible au cours du xxie siècle. Enfin, seront rapidement évoquées les implications pour la « détection-attribution » des changements climatiques observés et pour les projections climatiques.
Les variations de la température moyenne à la surface de la Terre
L’analyse de longues séries de température mesurée à la surface de la Terre suggère que les décennies récentes ont des propriétés statistiques différentes des précédentes. En particulier, on a constaté en de nombreux points du globe que les températures moyennes avaient tendance à augmenter. Mais cette augmentation des températures n’est ni régulière au cours du temps, ni uniforme à la surface du globe. La méthode habituelle pour réduire le « bruit » lié à la variabilité interne du climat est de calculer des moyennes, en particulier la moyenne annuelle des températures mesurées sur l’ensemble du globe. Depuis le milieu du xixe siècle, cette moyenne montre des variations importantes d’une année à l’autre, qui reflètent en partie le caractère aléatoire de certaines fluctuations climatiques.
Pour faire apparaître encore plus clairement l’évolution à long terme, on peut calculer une moyenne des températures de surface sur plusieurs années successives. En décalant progressivement cet intervalle, on obtient une moyenne « glissante » qui montre que la température du globe a commencé par augmenter au début du xxe siècle, s’est plus ou moins stabilisée de 1940 à 1970, puis a fortement augmenté de 1970 à la fin du xxe siècle, avant de connaître un nouveau « plateau » apparent.
Si l’augmentation de la température du globe est donc indéniable depuis le début de l’ère industrielle, il est important de comprendre les fluctuations climatiques à plus court terme. L’amplitude de ces fluctuations varie, en général, à l’inverse de la taille du domaine analysé. Leur prévisibilité représente un sujet d’étude important car elles peuvent être associées à une modulation de la fréquence et/ou de l’intensité de phénomènes extrêmes (ex : canicules ou sécheresses) ayant de forts impacts sur les écosystèmes et les sociétés humaines.
Quelques modes de variablité du climat à l’échelle régionale
C’est ici qu’il nous faut préciser la notion de variabilité interne du système climatique. Le système climatique est constitué par cinq composantes principales : atmosphère, océan, cryosphère (neige et glace), hydrosphère (eaux continentales) et biosphère. La variabilité interne résulte, d’une part, des interactions entre ces sous-systèmes et, d’autre part, du caractère fondamentalement instable de certaines composantes (atmosphère et océan).
Par exemple, la « North Atlantic Oscillation » (NAO) est une fluctuation atmosphérique qui affecte le climat de l’Europe à de nombreuses échelles de temps. Elle correspond à une modulation du contraste de pression en surface entre l’anticyclone des Açores et la dépression d’Islande, et donc des vents d’ouest sur l’Europe. Indépendamment du cycle saisonnier, on observe des alternances de périodes à faible et à fort gradient qui s’accompagnent de fortes variations de température et de précipitations. Bien que modulée à basse fréquence par le couplage avec l’océan, la NAO est intrinsèque à l’atmosphère et explique, en bonne partie, le caractère plus ou moins rigoureux des hivers sur le nord de l’Europe.
Anomalies annuelles des températures de surface moyennées sur l’Europe du Nord et de l’indice NAO
Crédit : Hervé Douville
Anomalies annuelles (relativement à la période 1971-2000 et exprimées en nombre d’écarts-type) des températures de surface moyennées sur l’Europe du Nord (trait noir épais), ainsi que de l’indice NAO (trait fin violet), afin d’illustrer la variabilité interannuelle de l’Oscillation Nord Atlantique. Les symboles rouges et bleus superposés à la courbe noire indiquent les années NAO+ (anomalie>1/2 écart-type) et NAO- (anomalie<-1/2 écart-type).
Le phénomène « El Niño Southern Oscillation » (ENSO) est, quant à lui, un mode de variabilité couplé océan-atmosphère, qui ne peut s’expliquer sans faire intervenir la circulation océanique dans le Pacifique équatorial. « El Niño » désigne, à l’origine, un courant côtier anormalement chaud au large du Pérou et de l’Équateur. Ce courant apparaît de préférence au début de l’hiver boréal (d’où son nom faisant référence à la Nativité). El Niño est relié à une variation du contraste de pression atmosphérique entre l’est et l’ouest du Pacifique que l’on nomme « Oscillation australe ». Ce phénomène d’intensité variable est associé à une migration des eaux chaudes du Pacifique ouest vers le centre et/ou l’est du bassin.
Les événements majeurs El Niño interviennent une à deux fois par décennie et s’accompagnent de perturbations climatiques dans de nombreuses autres régions du globe via des effets atmosphériques à distance que l’on nomme « téléconnexions ». Bien que le déclenchement de l’ENSO fasse encore l’objet de nombreux travaux, certains événements semblent liés à des coups de vents d’ouest qui contribuent à affaiblir ou à inverser les alizés et ainsi à créer la dynamique océanique nécessaire au basculement des eaux océaniques.
Cette remarque illustre une autre caractéristique importante de la variabilité interne du climat, à savoir les nombreuses interactions d’échelles qui lient des phénomènes de dimensions spatiales et/ou temporelles très variables. La variabilité interne peut aussi avoir des manifestations à très basse fréquence (à l’échelle de plusieurs décennies ou de plusieurs siècles), notamment via la dynamique de l’océan profond dont les constantes de temps sont très supérieures à celles de l’atmosphère. Ce sont ces variations lentes qui sont les plus problématiques lorsqu’on cherche à isoler les changements climatiques d’origine anthropique dans les séries observées.
Anomalies annuelles des températures de surface de la mer
Crédit : Hervé Douville
Anomalies annuelles (relativement à la période 1971-2000 et exprimées en nombre d’écarts-type) des températures de surface de la mer moyennées globalement (trait noir épais), ainsi que des températures de surface de la mer moyennées sur la boîte Nino3.4 (trait fin violet), afin d’illustrer la variabilité interannuelle de l’ENSO. Les symboles rouges et bleus superposés à la courbe noire indiquent les années chaudes (anomalie>1/2 écart-type) et froides (anomalie<-1/2 écart-type) sur la boîte Nino3.4.
La variabilité du climat dans les modèles numériques
Pour comprendre et anticiper l’évolution à long terme du climat, et notamment de ces modes de variabilité, les climatologues disposent, depuis quelques décennies, de modèles numériques. Ces modèles représentent de façon détaillée le comportement du système climatique couplé océan-atmosphère. Ils ont l’avantage de permettre d’effectuer des simulations de plusieurs dizaines ou centaines d’années. Dans ces simulations, on peut faire varier, de façon parfaitement contrôlée, certains paramètres dont la concentration des principaux gaz à effet de serre. Ces modèles constituent donc une sorte de laboratoire numérique dans lequel le climatologue peut étudier la réponse du climat simulé à des modifications des paramètres de contrôle. Bien entendu, ces expériences n’ont d’intérêt que si le modèle est d’abord capable de reproduire les principales caractéristiques du climat récent pour lequel on dispose de multiples observations.
Pour réaliser une simulation climatique, il est nécessaire de spécifier les paramètres externes au système climatique qui vont définir les conditions de l’expérience. Parmi ceux-ci, il y a, d’une part, la composition de l’atmosphère, notamment la concentration des divers gaz ayant une influence sur l’effet de serre et la charge en particules (aérosols) pouvant diffuser ou absorber le rayonnement solaire. D’autre part, il y a la luminosité solaire, qui présente des variations plus ou moins régulières, et la concentration des aérosols volcaniques qui peuvent se maintenir en altitude et ainsi refroidir le globe pendant quelques mois voire quelques années.
À ces variations des forçages externes (naturels ou anthropiques), il faut ajouter la notion de « rétroaction » pour comprendre l’intensité et/ou la persistance des réponses simulées. Il s’agit de mécanismes internes qui tendent à amplifier ou au contraire à inhiber l’effet du forçage externe. À titre d’exemple, le réchauffement global d’origine anthropique s’accompagne d’une augmentation de la vapeur d’eau atmosphérique qui tend à renforcer encore un peu plus l’effet de serre (on parle de rétroaction positive).
Au delà du réchauffement planétaire, faut-il s’attendre à une évolution à long terme des modes de variabilité ? Selon les scénarios les plus récents analysés par les experts du GIEC, il faut, par exemple, envisager une modulation de la NAO (affaiblissement du gradient de pression entre les Açores et l’Islande) en lien avec un retrait de la banquise arctique et une perturbation des téléconnexions avec le Pacifique équatorial. Les projections de l’ENSO demeurent, quant à elles, très variables d’un modèle à l’autre, mais elles ne suggèrent pas de modification dramatique.
Globalement, l’amplitude de la variabilité interne ne devrait guère évoluer au cours des prochaines décennies, et laissera donc apparaître, de manière de plus en plus claire, les stigmates du changement climatique. Néanmoins, elle restera suffisante pour éclipser voire contrecarrer de manière sporadique les effets régionaux du changement climatique lorsqu’on se projette à seulement quelques années ou décennies. Ceci explique l’émergence récente de la prévision décennale qui consiste à tenir compte de l’état initial du système Terre, notamment de l’océan, pour affiner les scénarios climatiques à court terme (10 à 30 ans).
La variabilité interne et les changements climatiques
Enfin, l’estimation de la variabilité interne est un point clé des méthodes de « détection-attribution » des changements climatiques observés. Les séries observées étant trop courtes et/ou influencées par l’homme, cette estimation repose sur des simulations dont les forçages externes sont fixés à leurs valeurs préindustrielles, et/ou sur des ensembles de simulations du XXe siècle ne différant que par leurs conditions initiales. Toute sous-estimation de la variabilité interne simulée peut conduire à une sur-interprétation des variations observées. C’est pourquoi on s’appuie, en général, sur plusieurs modèles et on vérifie que les résultats de la détection-attribution résistent à une estimation « haute » de la variabilité interne en lui appliquant un facteur multiplicatif.
Ces méthodes ont d’ores et déjà permis de montrer sans ambiguïté que l’homme avait eu une influence significative sur les températures observées au cours du xxe siècle. Les défis consistent aujourd’hui à dissocier l’effet des gaz à effet de serre de celui des aérosols anthropiques, à appliquer ces méthodes à d’autres variables, et à quantifier plus précisément à quel point l’homme a déjà modifié la probabilité d’occurrence des événements à fort impact sur nos sociétés.